TRAITE DES NEGRES
CHAVALIER DE JAUCOURT
INTRODUCTION
Ecrit par le Chevalier de Jaucourt, homme de lettres du 18ème siècle, ce texte est intéressant car il aborde un autre thème : l'autorité (pouvoir d'exercer un pouvoir sur un autre homme). La traite des Nègres est courante à l'époque. Le Chevalier de Jaucourt s'élève contre un abus contemporain, comme Montesquieu ("l'esprit des lois" : il aborde ce sujet sur un mode ironique), Voltaire ("Candide": conte philosophique qui traite du passage du Nègre du Surinam).
I - Un texte encyclopédique argumentatif
1) La construction de l'argumentation
On remarque que l'article est divisé en paragraphes : cela montre un souci d'organisation.
Ainsi, le premier paragraphe, a une fonction de définition qui glisse rapidement vers la condamnation.
Le second paragraphe présente la citation d'un intervenant extérieur : un anglais. Il s'intéresse aux manières dont on se procure les esclaves. Il la présente comme illégitime (on observe ici l'éloge de l'Angleterre, pays avant gardiste du temps des Lumières). Le Chevalier de Jaucourt résume par conséquent le système de la traite des Nègres.
Dans le troisième paragraphe, il critique tout d'abord généralement, puis s'attaque aux princes car ils vendent des esclaves : ils sont présentés comme des criminels.
Le quatrième paragraphe montre le commerce du côté des acheteurs : "d'un autre coté" (l19). Ils sont tout aussi fautifs car ils acquièrent de la marchandise illicite, interdite. Le Chevalier de Jaucourt condamne donc ces marchands dont il précise que les droits sur la marchandise sont nuls.
Le dernier paragraphe est une critique de l'esclavagisme en général par le biais de l'affirmation de la liberté. Le Chevalier de Jaucourt utilise également beaucoup de connecteurs logiques : "soit" (l13), "d'un autre côté" (l19), "donc" (l17).
Il a donc réalisé un exposé logique qui vise à être complet : le raisonnement va de conséquences en conclusion.
2) La stratégie de l'auteur
Pour appuyer son argumentation, le Chevalier de Jaucourt utilise une démarche encyclopédique. Le premier paragraphe est ainsi une définition de la traite des Nègres. Ce texte est rédigé au présent de l'indicatif qui a pour valeur la vérité générale. L'article suggère aussi une volonté de description de tout le commerce en relation avec le thème ; le Chevalier de Jaucourt essaie d'être le plus exhaustif possible pour persuader le lecteur. On note enfin la présence du renvoi "commerce d'Afrique" au début de l'article. Cette apparente neutralité encyclopédique s'oppose à la critique explicite. On remarque des indices de jugement dès le début : "malheureux" (l13). Ce terme introduit dans l'article, le registre pathétique, qui se poursuit ligne 11 par la représentation des esclaves comme hommes-objets qu'on entasse au fond d'une cale. On note ainsi par la suite plusieurs marques de jugement pathétiques (l4) "viole", (l26) "infortunes", (l15) "atroces" et (l33) "inhumanité".
L'auteur détourne la neutralité encyclopédique en utilisant des modalisateurs: (l10/26) "prétendent". Le Chevalier de Jaucourt remet en cause l'opinion des autres.
Enfin, dans le dernier paragraphe, l'auteur essaie de persuader le lecteur. Ce paragraphe n'est constitué que d'une unique phrase, qui fait un bloc. Il est composé de beaucoup de virgules et de négations, ce qui donne du rythme. Cela insiste donc sur l'enchainement des idées. La première partie de ce paragraphe présente une gradation (liberté qu'il n'a jamais perdu, qu'il ne peut perdre….) et un rythme ternaire (l28-29), qui avec le connecteur logique "puisque" justifie l'idée de base : la liberté. La deuxième partie de ce paragraphest la conclusion introduite par "par conséquent" (l30). Mais on remarque que la cause et la conséquence sont identiques : le Chevalier de Jaucourt insiste sur la même idée de liberté, de droit naturel. Il répète donc deux fois sa thèse. On remarque que "perdre" (l28), "dépouiller" (l31) et "partout" (l32) sont répétés deux fois. Enfin, on remarque ternaire (l28-29) : prince, père, qui que se soit dans le monde. Cela insiste sur l'inexistance de personnes qui s'opposent à ce trafic. Le Chevalier de Jaucourt essaie de persuader. Il combine un discours à l'apparence de logique avec une implication de lecteur. On a l'impression d'une plaidoirie qui utilise une tonalité oratoire : formule d'insistance, de rythmes, d'emphases et de répétitions. Le Chevalier de Jaucourt cherche à marquer.
II - La condamnation de la traite des nègres
1) Un commerce contraire aux règles
Il dénonce, à travers un champ lexical du commerce imposant, ce commerce contraire aux règles : "achat" (l1), "marchandise" (l12), "commerce" (l14), "vendre" (l18), "acheter" (l19), "prix d'argent" (l23), tous ces termes commerciaux désignent la vente, l'achat de personnes : ils sont habituellement employés pour des marchandises, donc on traite les nègres comme des objets. Cela démontre l'inhumanité du commerce.
En utilisant ce champ lexical, l'auteur définit l'ensemble du commerce, il est exhaustif. Il déclenche ainsi la réaction du lecteur en décrivant la réalité avec des mots utilisés par des commerçants. Les négations sont portées sur ce champ lexical : le Chevalier de Jaucourt remet donc en cause ce procédé. Il dénonce ainsi les coupables de ce commerce : ce sont ceux qui tolèrent ce système, et les commerçants (vendeurs et acheteurs). On note que dans le quatrième paragraphe, l'auteur condamne implicitement les pratiques des princes (le pouvoir) et des magistrats (la justice). Ainsi, dans la dernière phrase, on retrouve la notion de juge. L'auteur remet en cause cette justice qui a normalement pour but d'empêcher l'esclavage et la traite des nègres. La justice ne joue pas son rôle. Il y a donc une critique des lois humaines qui doivent être remplacées par les lois naturelles. A la ligne 35, le système de traite perd sa raison d'être, car le Chevalier de Jaucourt retourne l'argument des esclavagistes contre eux. Cet argument visait à dire que les nègres n'ont pas d'âme, ce sont des animaux, dont on peut en faire le commerce. En démontrant que les nègres ont une âme, ce système s'effondre. Cette pratique devient illégitime.
Ainsi, le Chevalier de Jaucourt appuie sur le droit (terme répété 7 fois). C'est la thématique qui est au cœur de l'article. Il y a deux types de droit : le droit usurpé qu'on s'approprie et le droit naturel que l'on ne peut acheter. Le droit usurpé est nié dans le texte, grâce aux négations dans la première partie. Dans le dernier paragraphe, on parle du droit de l'esclave. Celui-ci, jusqu'alors, subissait grammaticalement : ce terme était souvent complément du nom. Dans ce paragraphe, il devient sujet et agit. Les esclaves deviennent plus libres.
2) Les hommes naissent libres et égaux
Le Chevalier de Jaucourt se sert du principe de l'égalité entre les hommes : l'homme ne peut perdre sa liberté, donc il est libre. Il définit ainsi un nouveau système totalement opposé : celui en place.
CONCLUSION
Cet article du Chevalier de Jaucourt abandonne rapidement les exigences de l'article encyclopédique au profit d'une argumentation virulente qui dénonce l'esclavagisme et toute forme de commerce de l'être humain au nom des idées naissantes telles que la liberté et le droit de tout homme de disposer de lui-même. Cette pratique ancrée dans l'époque apparaît ici comme quelque chose d'inhumain, d'illicite et de contraire à toute loi universelle, à la nature de l'homme. Cette dénonciation va ainsi désigner tous les coupables de ce commerce illégitime.